Du reportage photo au livre d’art avec Edouard Elias
Photojournaliste pour certains, photodocumentariste pour d’autres, Edouard Elias est photographe. Il travaille pour la presse. Il est également portraitiste. Son travail est aujourd’hui exposé dans des festivals et en galeries.
Dans ce nouvel épisode du podcast, vous allez apprendre :
- Le parcours d’Edouard Elias
- L’importance de bien connaître le terrain
- La genèse de son travail actuel
- L’importance d’avoir une bonne culture photographique
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Le parcours du photographe
« Je ne m’inscris pas vraiment dans une case », affirme le reporter. « J’ai commencé la photo d’une manière un peu particulière, ce n’est pas juste pour l’amour de l’image en tant que telle. C’est quelque chose qui vient de mon éducation et de mon enfance. »
Edouard a grandi entre l’Egypte et la France, « entre mon père et mes grands-parents », précise-t-il. « J’essayais de me souvenir du lieu où je ne pouvais pas être par la photographie. Mon intérêt n’était pas esthétique, mais bien un outil de mémoire.
Famille d’anciens militaires, Edouard développe une appétence pour les documentaires sur la géopolitique. C’est par cet intérêt historique et l’importance du travail de mémoire que le photographe se tourne progressivement vers le reportage.

Avec un cursus en école de commerce, Edouard devient le photographe du bureau des élèves. Il documente aussi des mariages et des baptêmes : « cette photographie sociale est extrêmement formatrice. Beaucoup de photojournalistes dénigrent les photographes de mariage. J’ai toujours pensé que c’était l’exercice le plus difficile dans la photo : d’une part, il faut rendre les gens beaux, d’autre part le rythme est très soutenu (avec des moments-clés à ne pas louper) », souligne le photographe.
Ses premiers reportages en Syrie
Il abandonne l’école de commerce pour une école de photo à Nancy, où il découvre la photographie argentique. Au sortir de l’école, Edouard Elias est conscient qu’il lui faut de l’expérience, à défaut d’avoir un réseau. Il prend l’avion pour la Turquie en espérant décrocher un stage dans une rédaction parisienne à son retour : « j’ai décidé de partir à l’été 2012 Turquie, dans les camps de réfugiés syriens. Pourquoi ? Parce que c’est là où l’histoire se passe, ce n’est pas vraiment dangereux et c’est accessible facilement. »
Sans fixeur, il ne parvient pas à entrer dans les camps de réfugiés. Il décide de rester sur place : « j’ai fini par rencontrer des journalistes syriens, nous nous sommes liés d’amitié et ils m’ont proposé de partir en Syrie avec eux. C’est comme cela que tout a débuté ».
Edouard se confie sur ce « baptême du feu » : la découverte d’Alep, des bombes, des hôpitaux. « Je n’avais pas vraiment de mission, donc j’essayais de calquer mon travail sur celui d’autres journalistes sur place ».
À son retour, il envoie ses photos à des rédactions mais il n’obtient pas de réponse. « J’ai eu la chance d’aller à Visa pour l’image. J’ai rencontré des professionnels là-bas, notamment Patrick Chauvel ». Grâce à ce réseau, Edouard Elias rencontre Getty Images et vend ses premières images à Paris Match, Sunday Times Magazine, Der Spiegel. « Je n’ai finalement pas eu de stage mais j’ai eu des retombées financières pour un travail qui a été publié », explique le reporter.

C’est cette reconnaissance de son travail qui lui a permis de très vite travailler avec l’AFP. « Je suis reparti en Syrie, où fait de la hot news, c’est-à-dire que je produisais de l’image (une image unique) et je devais trouver toutes les 48h, un point internet pour les envoyer », précise le journaliste.
Tout au long de ce travail pour l’agence filaire, Edouard Elias travaille en bonne intelligence avec son confrère Olivier Voisin : « il m’a montré toute l’organisation, presque militaire, de la façon de porter la musette, à comment organiser son sac. Il m’a vraiment aidé », assure Edouard.
Sur place, il obtient une commande pour suivre un médecin français. « C’est l’assurance d’avoir ses photos publiées, donc, payées ». En effet, le salaire du jeune reporter est loin d’être mirobolant à l’époque : « Je gagnais 200 dollars par jour avec l’AFP, pour une centaine de dollars dépensés en moyenne. Ce n’est pas extrêmement bien payé par rapport au fait qu’on risquait quand même notre vie là-bas ».
Être conscient des risques
Edouard Elias revient sur son expérience du terrain et l’importance de travailler en binôme : « quand je suis parti en Syrie avec Didier François, beaucoup se sont interrogés sur la pertinence de partir avec quelqu’un de radio ». Cette collaboration leur a permis de partager les frais, mais aussi de se sentir plus en sécurité.
Malheureusement, les deux journalistes sont embarqués lors d’un contrôle à un faux checkpoint. Ils sont retenus en otages 11 mois durant par l’Etat Islamique. « Cette période a été assez compliquée à gérer, nous avons été libérés en avril 2014. Nous étions otages, pas prisonniers. Nous avions une certaine valeur, ils étaient tenus de garder dans de bonnes conditions comme monnaie d’échange ».
Malgré tout ce qu’il a pu endurer (torture psychologique, simulation d’exécution, une tension énorme), Edouard Elias parle de cet événement comme d’un accident du travail : « il s’agit avant tout d’une erreur professionnelle et j’ai eu de la chance de m’en sortir », confie le photographe.

Il revient avec la ferme envie de faire de la photographie et du reportage, en évitant les zones à fort taux d’enlèvement. « Notre travail en tant que journaliste, c’est d’aller relater ce qui se passe sur le terrain, avec le maximum de déontologie. C’est un travail qui permet aux gens de se faire une idée de ce qui se passe ».
De retour en France, il travaille pour VSD. « Marc Simon avait pris la tête du service photo. Il était photographe, il connaissait parfaitement le métier et il était très dur ». Ce « papa-photo », comme l’appelle Edouard, lui a permis de s’améliorer en portrait, en photo politique, et plus largement dans le reportage.
Edouard Elias souhaite s’orienter vers des sujets au long cours pour ne plus avoir à gérer cette urgence de transmettre des images. « Un de mes codétenus m’avait conseillé de lire Le cœur des ténèbres de Joseph Conrad », explique le journaliste. Cette inspiration lui donne l’idée de partir photographier l’armée française en Centrafrique. « Tout le jeu est de se faire accepter les militaires. Cela m’a pris 4 ou 5 jours, pendant lesquels j’ai fait très peu d’images », affirme-t-il.
Ce n’est qu’à son retour, une fois l’editing fait, qu’il propose son reportage à la presse. « Je montrais les conditions des hommes sur le terrain. Il était important de montrer à quel point c’était difficile, sans nuire à leur dignité », explique Edouard Elias.

Ce travail lui a permis de renforcer ses liens avec l’institution. Il obtient le prix de Ministère de la Défense et ses photographies sont exposées à Visa Pour l’Image. Être parti sans commande lui a permis de garder le contrôle sur ses images. Il a d’ailleurs fermement refusé de vendre ses photographies pour illustrer des papiers sur des événements apparus en Centrafrique après son départ.
« Je suis beaucoup plus dans l’Histoire, l’idée c’est de se rappeler les différents types de conflits qui ont eu lieu dans le siècle en Europe ». Le journaliste explique qu’il a documenté cette « guerre symétrique » en utilisant uniquement de la pellicule. Il est allé aux Invalides pour s’inspirer des images anciennes et documenter un conflit nouveau : « je voulais brouiller le regard du spectateur. Pour les gens peu avertis, c’était une façon de leur dire c’est aujourd’hui en Europe ».
Loin du travail journalistique classique, Edouard Elias inscrit ce projet dans une démarche beaucoup plus large. Il a d’ailleurs photographié les deux camps. « Mon travail ce n’est pas de vous dire quoi penser mais de vous donner une idée de ce qui se passe », assure le photographe. « Si l’on comprend quelles sont les limites des différents services de communication, on peut sortir un travail encore plus fort que si l’on avait une totale liberté ».
Connaître ce qui a été fait
« C’est important de savoir ce qui a été fait et pourquoi». Edouard parcourt du regard les rayons de sa bibliothèque. « Tout ne me plaît pas ici, i y a des types de photographies que je préfère. Mais ce qui est essentiel c’est comprendre les représentations sociales, comment on va parler des gens. Et puis, il faut voir les photographies dans un livre, il y a une véritable volonté de la part du photographe », précise-t-il.
Edouard Elias prend la métaphore du langage pour expliquer que la richesse du vocabulaire est fondamentale pour être livre de s’exprimer largement : « en photographie c’est la même chose : si l’on ne connaît que trois photographes, on va être très vite limité psychologiquement dans nos choix », explique le photographe.

Son dernier travail en Ukraine a fait l’objet d’un livre. « Voilà quelques temps que je collabore avec Fanny Boucher, maître d’art en héliogravure. « J’espérais le mettre au musée et en l’occurrence ce travail fait partie de l’acquisition du Musée des Armées. La photographie, c’est de la matière», assure le reporter.
Le coffret du livre est en acier. Dans son ouvrage Kaputt, Curzio Malaparte raconte l’affrontement entre les troupes allemandes et roumaines et les forces russes lors de la seconde guerre mondiale. Il compare l’odeur des charognes de chevaux à celle des carcasses de char pour parler de l’avènement de la guerre mécanisée.
Le photographe poursuit : « L’idée est là : d’une carcasse d’acier, on en extrait un livre relié en cuir de Russie (qui est une méthode de tannage très particulière). Comme on ne choisit pas de quel côté on est dans une guerre et que je ne voulais pas qu’il y a un coté avant l’autre, on peut l’ouvrir des deux côtés ».

C’est un livre en 15 exemplaires, vendu à des institutions et des collectionneurs. Cet ouvrage mêle texte et photographies, imprimées en héliogravure. Il s’agit d’un procédé du premier procédé photomécanique de photo-impression. On ne parle pas de tirages mais d’estampes, gravées à partir de matrices en cuivre.
« C’est la découverte du travail de Fanny qui m’a fait prendre conscience que la photographie ce n’est que 50% du travail final. Le reste vient de l’artisan qui va l’imprimer. J’ai réalisé que l’objet photographique était tout aussi important que la prise de vue », confie l’artiste.
Edouard Elias revient sur le risque qu’il a pris pour « laisser place à la matière » comme il dit. « J’ai dû calmer le rythme des commandes avec la presse pour me laisser le temps d’expérimenter. J’ai eu peur mais j’ai pu bâtir un modèle économique qui m’a permis de dépasser l’effondrement de la presse », souligne Edouard Elias.
Quand on lui demande un conseil pour garder le cap, il répond sans hésiter. « Il faut se laisser aller vers ce qui nous plaît naturellement parce que c’est là qu’on pourra fournir la plus grande force de travail. Il ne faut pas oublier que la photographie, c’est 10% du métier. Le travail, c’est d’aller rencontrer des gens, d’échanger. On ne travaille jamais tout seul ».
Toutes les informations utiles de l’épisode
Les photographes cités dans l’épisode
Olivier Voisin
Patrick Chauvel
James Foley
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