Photoreportage, des zones de guerre aux galeries d’art (avec José Nicolas)
José Nicolas est aujourd’hui co-directeur d’un atelier galerie à Paris. Il est photographe depuis 1982. D’abord engagé dans des missions humanitaires, il intègre ensuite l’agence Sipa où il travaille comme photo reporter salarié pour couvrir les actualités, notamment les conflits du monde entier.
Dans ce nouvel épisode du podcast, vous allez apprendre :
- Le parcours de José Nicolas (1’30)
- Le fonctionnement de l’atelier-galerie (1 »05’30)
- Comment passer du reportage à la photo d’art (1 »21″56)
- Le positionnement éthique du photographe (30’00)
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Le parcours de José Nicolas
José Nicolas est photographe depuis 38 ans. Il a commencé en couvrant des missions humanitaires.
J’ai suivi Bernard Kouchner dans les années 80. Je suis rentré à Sipa, j’y suis resté plusieurs années, j’ai couvert des conflits, j’ai fait de la politique et des sujets de société ».

Afghanistan, mission humanitaire avec Médecins du Monde et Bernard Kouchner dans la région du Wardak en juillet 1984. Bernard Kouchner joue avec un enfant @José Nicolas
José Nicolas revient sur ses années à l’agence Sipa. « Je me levais à 6h du matin, j’écoutais la radio. Comme j’allais souvent en Afrique, j’écoutais RFI. Le patron était là à 7h du matin, j’arrivais à 7h15. On échangeait sur ce qu’on avait entendu le matin et il me disait « c’est bien, tu peux partir ». Il fallait passer à la comptabilité pour avoir de l’argent et je partais. Et puis des fois, il disait : non il ne vas pas y aller, parce que la dernière fois, il s’est planté. Il ira faire le conseil des ministres et les manifs. C’était un peu la punition ».
Il quitte Sipa en 1995 après avoir été grièvement blessé au Rwanda lors de l’opération Turquoise.
Arrivé dans les premiers reporters sur place, il avertit les militaires après avoir trouvé des rescapés. Puis il prend la route avec une amie journaliste.
« Il n’y avait plus de bruit, plus d’oiseau, plus rien. Comme dans Beyrouth détruit. Là, tu sens qu’il va se passer quelque chose : on s’est fait canarder. On a pris 120 impacts dans la voiture, Isabelle est gravement blessée, j’ai le genou en éclat. Ils sont arrivés, c’étaient des gosses de l’UFPR, des Tutsies, prêts à nous découper. Quand ils ont vu qu’on n’était pas Hutu, ils nous ont gardés pendant plusieurs jours. Puis on a été libérés et évacués plus tard. Nous avons été pris en charge à l’hôpital militaire. J’ai mis du temps à m’en remettre ».
Il continue à faire des reportages, des sujets magazine, diffusés par l’agence Sigma, qui deviendra Corbis par la suite.
Constatant le déclin de la presse écrite, il décide de chercher une nouvelle économie dans la photographie. Il développe des projets autour des vignobles, de la décoration et réalise aussi des reportages sur l’armée.
En 2014, il récupère l’ensemble de ses archives et commence à travailler sur ce fonds photographie. « Qu’est-ce que j’allais faire de toute cette masse de photos que j’ai redécouvert ? J’ai trié, scanné, organisé ».
Il sort un premier livre aux Editions Lamartinière, Les French Doctors, sur les dix ans passés auprès de Bernard Kouchner. « J’ai sorti ensuite un livre avec 20 ans de photographie sur le Tchad. C’est un pays que j’adorais, j’y allais souvent ».
Plusieurs musées ont fait des acquisitions de photos de José Nicolas. La dernière en date concerne l’achat des photos de la Mer de Chine par le Musée de l’immigration.
Le fonctionnement de l’atelier-galerie ?
« Je voulais donner une vie à ces photos ». Soucieux de faire partager ces connaissances et ce savoir-faire à d’autres photographes, il s’associe avec un ami, qui met un lieu à sa disposition.
Dès lors, il crée, avec Stéphane Cormier, un atelier de présentation de la photographie de reportage. Ce lieu parisien a pour vocation de « présenter des photographies de reportage, de préférence argentique, des photos humanistes ».

Soutenu par des collectionneurs mécènes, l’atelier ne reçoit aucune subvention de l’état. José Nicolas nous explique que c’est la construction d’un réseau qui a permis d’instaurer la confiance. « Cela nous a permis de traverser la pandémie tranquillement ».
La vente aux passants représente à peine 10% des revenus de l’atelier. C’est bel et bien les gens du quartier, avec un besoin spécifique, qui font vivre la galerie. José Nicolas organise aussi régulièrement des événements où ils convient des clients potentiels.
José Nicolas met en avant le travail de photographes en proposant à la vente des tirages d’art.
« À l’époque, les photos étaient signées et tamponnées par leurs auteurs. Mais aujourd’hui, on numérote. On numérote les photos avec un maximum de 30 exemplaires, ce qui permet d’avoir une TVA à 5,5%. Il y en a qui se limitent à 6 ou 7 exemplaires pour donner plus de valeur à la photo. Pour que ce soit un vrai tirage d’art, le noir et blanc est tiré par un tireur noir et blanc, avec un tampon sec, signé, numéroté. Si la photographie est en couleur, il y a tout un travail qui est fait derrière, mais disons que l’ensemble fait une œuvre ».
Comment passer du reportage à la photographie d’art ?
Le photographe revient sur la problématique de gestion de son fonds photographique. « À l’époque, on faisait des photos destinées à la presse, sans réfléchir à l’editing. Mais aujourd’hui, il y a des photos qui prennent d’autres symboliques selon comment on les a cadrées, on les a prises. Ces photos peuvent alors entrer dans l’Histoire ou dans un musée. Ce sont des photos qu’il faut savoir extraire ».
Il a fait appel à des spécialistes pour l’aider dans le choix des photographies à exposer. L’ancien directeur du FRAC Marseille, Bernard Muntaner, lui a apporté un éclairage sur les photographies qui pouvaient se faire une place sur le marché contemporain.
Le conseiller en arts plastiques de la DRAC Normandie, Jérôme Felin, a aussi aidé le photographe à extraire de ce fonds des photographies qui allaient avoir une vie sur le marché de l’art.
L’ancien reporter nous explique que le prix d’une œuvre est établi selon différents facteurs : le marché, les experts, la vente aux enchères et bien entendu le coût de production. L’arrivée d’une photographie sur le marché de l’art crée une cote pour l’artiste. Plus l’auteur va être exposé, référencé, plus son travail va circuler dans les festivals, plus sa cote va monter.
Le positionnement éthique du photographe
Quand on lui demande le conseil qu’il donnerait à un photographe qui souhaite se lancer sur le marché de l’art, José Nicolas nous répond ouvertement : « Il ne faut pas penser comme cela ». Si l’objectif est d’exposer en galerie, il conseille alors de s’équiper en conséquence. « Tu deviens un auteur, mais tu n’es plus dans la construction de ton sujet, dans la passion d’informer, de montrer, d’être un témoin oculaire ». Il fait le constat du succès grandissant de la vente en galerie, dû à la crise du marché de la presse et au monde de l’édition qui n’est pas encore suffisamment rémunérateur pour les photographes.
José Nicolas a réalisé 37 livres, dont un seul en auto-édition. Tous les autres ont été élaborés avec des éditeurs. Les revenus sont faibles mais il retient l’expérience que lui apporte la création de chaque livre. « J’ai fait des livres sur tout : sur le cassoulet, sur le pain, j’ai fait deux livres sur la légion, deux livres sur les chasseurs alpins ».
En riant, ils nous raconte comment il est arrivé à faire un livre sur le cassoulet : « Un jour, « Le Pèlerin » me commande un reportage sur le cassoulet à Castelnaudary. Je suis parti faire des photos pendant 4 jours, la directrice de la communication de la ville m’a contacté parce qu’elle voulait faire un livre ».

Islande 1997, Lagon Bleu @José Nicolas
Quelle que soit la photographie qui est mise en avant, que ce soit sur un mur ou dans un livre, José Nicolas insiste sur l’importance de l’histoire qu’elle porte. Il se définit comme « témoin oculaire ». C’est ainsi qu’il a toujours envisagé son métier de photoreporter. Aujourd’hui encore, lorsqu’il choisit de mettre en avant le travail de tel ou tel photographe, c’est parce qu’il sait que l’histoire qui accompagne l’image pourra résonner dans la vie des gens.
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