Patrick Chauvel, 50 ans de reportages de guerre
Patrick Chauvel est photojournaliste. Il a documenté 50 ans de guerres à travers le monde. Ce célèbre reporter a fondé une association pour pouvoir transmettre ses archives. Il a fait don de 380 000 images au Mémorial de Caen, qui lui a consacré un espace d’exposition permanente.
Dans ce nouvel épisode du podcast, vous allez apprendre :
- Travailler en terrain de guerre (3’’02)
- Pourquoi partir (5’’40)
- L’importance du comportement sur place (13’’44)
- Comprendre le devoir de témoignage (30’’18)
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Travailler en terrain de guerre
Patrick Chauvel évoque le stage de préparation en terrain hostile, proposé par le CNEC (Centre National d’Entraînement Commando) à Collioures. Chaque année, les journalistes et photographes sont accueillis une semaine pour apprendre les bases du déplacement et de la sécurité en zone de conflit.
Les journalistes « apprennent ce que c’est qu’une munition, une mine, comment progresser sous un tir, à quel endroit se cacher derrière une voiture, à gérer une situation de stress à un carrefour. C’est un vrai partage d’expérience de l’armée française ».
Nous avions rencontré l’un des instructeurs du CNEC pour lui poser des questions sur ce stage. Vous pouvez retrouver cet entretien dans l’épisode #5 du podcast.
Il conseille évidemment de prendre des cours de secourisme avancés. Selon Patrick Chauvel, c’est le manque de préparation qui fait défaut chez les journalistes : « Il y a des types qui partent sans même un pansement. Qu’est-ce qu’ils vont faire s’ils prennent une balle dans le bras? Ils vont se vider de leur sang, alors qu’il suffirait d’avoir un garrot ».
Lui-même nous confie en avoir 4, dont deux déjà prêts à être utilisés. « Ils ne se rendent pas compte que quand ça part, on n’a pas beaucoup de temps. En général, on est un peu tendu, on peut vite perdre ses moyens ».
Patrick résume en une formule l’importance d’être autonome sur le terrain : « tu peux te soigner mais tu peux aussi aider un mec, ça change tout ». C’est une façon d’être parfaitement intégré à une unité pour un journaliste qui part avec des militaires.
Pourquoi partir ?
« Quand je suis parti avec mon fils, je lui ai dit tu vois le grand immeuble bleu là bas ? Il me répond oui. Donc l’immeuble te voit, on est en territoire daech, mets toi contre le mur. Les snipers sont très bons, tu peux être tué bêtement ».
Patrick Chauvel est catégorique : « Les gens prennent leur responsabilité ». Les journaux ne prennent plus le risque d’envoyer des journalistes sur le terrain. « Par contre si vous y allez, que vous vous installez là-bas, vous allez forcément faire des images avant les autres. Et si les images sont bonnes, au troisième envoi, Match va dire : c’est pour nous ».
« Chaque guerre qui dure un peu a accouché de talents ». Patrick cite Rémi Ourdan, stagiaire dans une radio, est parti à Sarajevo. Au bout de 6 mois, il a été contacté par Le Monde pour un article, avant d’être nommé grand reporter pour Le Monde à seulement 24 ans.

« Choisis le bon conflit. Vas-y. Si tu n’as pas d’expérience, essaie sur place de rencontrer des reporters qui vont t’aider ».
L’importance du comportement sur place
Le reporter conseille de savoir si c’est un conflit qui va durer longtemps. Il est fondamental de comprendre la situation. « Il faut essayer d’appeler les gens de l’AFP, AP, Reuters qui sont sur place. S’il n’y a pas de journalistes locaux, il faut repérer l’université, parce qu’en général les étudiants sont éduqués ».
Patrick Chauvel recommande de toujours s’aider de la population locale. « Une fois, j’avais mis un jean et un t-shirt noir, un irakien m’a dit : change de vêtement ou tu vas te faire tuer. C’est la tenue des chiites, ça. Nous on est sunnites ».
Pour bien comprendre l’importance de connaître le terrain, il revient sur un souvenir de reportage. Il suivait une unité d’élite, la Golden Division de l’armée irakienne. « Non-embedded », il ne pouvait pas monter dans les véhicules blindés. Il a donc demandé l’autorisation de suivre le tank à pied.
« A un moment, on a tourné dans une rue plus large et j’ai dit à mon fils : s’il y a un véhicule kamikaze, il a de l’espace pour prendre de l’élan. Il va viser le tank. Donc on va laisser passer deux humvee ». Le véhicule a frappé dès le passage du deuxième humvee. « La chance qu’on a eu c’est qu’il a frappé en latéral. On a pris des éclats mais pas toute la force de l’explosion ».

Comprendre le devoir de témoignage
« La déontologie c’est la base du métier. Si on t’invite à assister à quelque chose mais qu’on te dit, pour le moment, ça ne nous arrange pas que ce soit vu, tiens parole, ne le montre pas ». Quand on lui pointe que c’est une forme de censure, il ne le reconnaît mais « c’est une censure momentanée ».
Lors de cet entretien, nous percevons aussi le sentiment de solitude qui peut envahir le reporter. « Tu ne peux partager ce que tu as vécu, qu’avec les gens qui l’ont vu. Notre rôle de journaliste c’est de raconter. Mais parfois, tu n’as pas envie ».
Il nous avoue qu’il a la sensation que les gens ne méritent pas l’histoire. Mais il se corrige immédiatement : « c’est stupide, ce n’est pas de la faute des gens s’ils vivent dans un monde de paix ».
» Nous ne travaillons pas que pour la presse, nous travaillons pour la mémoire collective« .
Quand on évoque la notoriété, souvent recherchée par les photographes et journalistes, Patrick Chauvel nous invite à la prudence.
Les récompenses et prix apportent une visibilité importante et ce sont des appuis financiers incontestables pour le travail des photographes aujourd’hui.
La notoriété peut évidemment être un atout mais il déconseille formellement de faire ce métier pour être connu. Il faut d’ailleurs le distinguo entre le fait d’être connu des rédactions et connu du public.
Pendant un temps, il avait même milité pour la création d’un salaire de base pour les photographes de guerre, identique pour tous. En contrepartie, les photos n’auraient pas été signées. « Nous, les photographes de guerre, nous ramenons des images de gens dans des situations très difficiles ; notre meilleure position, c’est dans l’effacement, sinon cela devient vulgaire ».
Toutes les informations utiles de l’épisode
Les photographes cités dans l’épisode
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