Frédéric Noy, vivre de la photographie documentaire
Frédéric Noy est photographe documentaire. Il travaille sur des sujets au long cours, de manière très approfondie avec un facteur temps qui influence énormément le traitement du sujet. Il a reçu le visa d’or en 2019 au Festival Visa pour L’image à Perpignan pour son sujet la lente agonie du lac Victoria.
« Ce n’est pas une approche que j’oppose à la photo de news. De même qu’en littérature, il a des fresques littéraires et des nouvelles, les deux sont importants dans la littérature, c’est la même chose en photojournalisme ».
Il n’a suivi aucune formation en journalisme, aucune formation en photographie. « J’ai tout appris en faisant des agrandissements dans ma salle de bain, j’ai lu des livres. J’ai tout essayé tout seul, c’est l’université de l’erreur ».
Dans ce nouvel épisode du podcast, vous allez apprendre :
- Le parcours du photographe (3 »25)
- Comment faire face aux périodes de doute et aux critiques (18’’50)
- Comment se lancer dans un projet documentaire (30 »00)
- Comment financer un projet au long cours (37 »44)
- les valeurs essentielles pour démarrer un projet personnel (9’’20)
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Le parcours de Frédéric Noy
Frédéric nous explique qu’il a commencé la photographie en 1989, en ayant des activités parallèles pour subvenir à ses besoins. « Je me disais que si je faisais ces activités, ça me dégagerait du temps et des moyens pour faire de la photographie; c’était une erreur ».
Les activités génèrent bien souvent beaucoup de fatigue et empêchent de se concentrer sur son activité de photographe. « Je suis arrivé tranquillement à l’an 2000 en me disant que ce n’était pas possible de finir mon existence en ayant des regrets : le regret d’avoir voulu être photographe et de ne jamais l’avoir fait, de ne jamais avoir essayé autrement que vaguement, du bout des lèvres et du bout des désirs ».
Il arrête alors tous les boulots alimentaires et se lance pleinement dans la photographie.

Il commence à travailler à l’étranger. « J’aime être basé quelque part dans le monde. Ça me permet de rayonner sur une région, sur une pays. À partir du moment où j’arrive à faire rentrer dans la carte mentale du DA et du directeur photo que je suis à tel endroit, à ce moment-là ils m’envoient sur des commandes ».
Le photographe nous explique qu’il ne dépend pas uniquement de la presse française. Les directeurs artistiques des magazines à l’étranger portent, culturellement, un regard différend sur son travail.
C’est aussi une façon efficace de faire circuler son travail plus largement et d’être plus visible.
Il participe au Festival Visa pour l’Image en 2002. Il intègre alors l’agence COSMOS. Il cherche ensuite à diversifier ses revenus et commence à travailler régulièrement avec le HCR (L’agence des Nations Unies pour les Réfugiés).
Cette collaboration lui a assuré des rentrées d’argent qui lui ont permis de développer des projets personnels. « J’aime avoir des commandes avec la presse mais j’aime me dégager des plages de liberté de création, qui me permettent de développer des projets plus longs ».
Comment faire face aux doutes et aux critiques ?
En tant que photographe, nous sommes souvent seuls quand on commence un projet. Il est parfois difficile de garder le cap. Nous avons demandé à Frédéric Noy comment il gérait ces périodes de doute. Il répond très franchement : « je ne me suis jamais dit qu’ils avaient raison ».
Il se souvient de son rêve d’enfant de devenir écrivain, il se revoit obsédé par envie de laisser une trace. « Cette idée là, c’étaient mes pensées d’il y a 30 ans. Aujourd’hui, je ne l’exprime plus de la même manière et inconsciemment ça me marque encore ».
Il conseille de croire en son instinct et d’affirmer clairement ses choix. « Au nom de quoi quelqu’un d’autre peut être sûr que ce que je propose est bien ou pas. Si beaucoup de personnes ne sont pas intéressées, je me dis toujours, la prochaine pourrait être intéressée ».
Concernant les critiques sur son travail, Frédéric se définit comme un tricheur en souriant. En effet, il habite principalement à l’étranger : l’Ouganda pendant 7 ans, le Soudan pendant 2 ans, le Nigeria près de 3 ans, le Tchad.
« Mécaniquement, je suis déconnecté des personnes qui pourraient critiquer mon travail. Je suis peu sous le regard au moment où je créé ; ça me permet de fortifier mon projet ».

Il revient sur son processus de création et se dit fragile à ce moment-là. Des avis pourraient le déstabiliser. Il se sert de la distance pour rester à l’abri des éventuelles critiques et « fortifier son sujet ».
Si bien que lorsqu’il montre son travail, c’est « qu’il est très accompli, au sens, proche de la fin, voire terminé. Et là, c’est intéressant d’avoir des retours mais les retours sont forts et solides et ils ne me déstabilisent pas ».
« Un projet qui n’est pas accompli c’est comme un avion léger, une bourrasque peut le renverser. Au moins si je me trompe, je peux comprendre mon erreur, c’est mon erreur pleine ».
Comment se lancer dans un projet documentaire ?
« Pour les sujets au long cours, j’aime me dire que ça doit toujours partir d’une question, une question à laquelle tu as envie de répondre. Plus la question est conceptuelle, mieux c’est ».
Il revient sur le sujet qui lui a valu le Visa d’or en 2019 : la lente agonie du lac Victoria. « C’était ma tour Eiffel à moi. J’ai habité en Ouganda pendant 7 ans et tous les matins en partant de chez moi, je le voyais. Comme quand tu vis à Paris, tu vois la Tour Eiffel et tu te dis bon, j’irai la visiter… demain. Là, c’était pareil, il fallait que je fasse un sujet sur le lac victoria ».
C’est en écoutant un gouverneur annoncer que le lac disparaîtrait dans 50 ans que Frédéric a trouvé son angle pour traiter ce sujet : « Est-ce que l’éternité a une fin » ?
Le photographe n’a qu’un seul conseil : « lancez-vous » ! Peu importe les activités annexes, Frédéric conseille de commencer un projet au long cours dès que l’occasion se présente. « Ce projet t’aide dans ta photographie, c’est avant tout une quête, une enquête sur un sujet et une quête sur soi qui est inconsciente mais inhérente à cette action là ».
Sur la question financière, Frédéric est catégorique : « Il y a toutes les raisons pour faire une projet personnel, excepté l’argent. Il ne faut même pas y songer ». Il insiste sur le fait de se concentrer sur l’effort narratif, « c’est le fil rouge qui nous tient ». C’est en fait du travail accompli qui sera reconnue et « cela a une valeur financière malgré tout ».
Comment financer un projet au long cours ?
Evidemment, on peut penser que c’est utopiste comme façon d’appréhender un projet photographique. Pourtant Frédéric est très pragmatique quand il s’agit d’argent : « si je suis dans le rouge, je le vois arriver de très loin. Plus on pense à quelque chose et plus on le prévoit ».
Il s’est crée plusieurs tableurs pour suivre au plus près ses revenus. « J’ai un tableau de tous les contacts que j’ai, du plus petit magazine au plus grand. Je ne refuse pas de vendre un sujet parce que c’est trop peu payé. Je me balade avec mes archives dans mon sac, n’importe où dans le monde, si l’on m’appelle, j’ai vu cette photo, je peux la vendre en direct, et je le rapporte dans mon tableau ».
La mise en place de ces outils lui ont permis à l’époque de calmer les angoisses qui l’empêchaient de se projeter dans ses projets. « J’ai réfléchi aux outils qui pouvaient me permettre de bien tout suivre: tableaux budgets, tableaux diffusion, tableaux sujet par sujet que j’ai amélioré au fil des années ».

Ses tableaux lui permettent d’avoir une vue d’ensemble de chacun de ses sujets tant en termes de publications que de rémunération. « J’ai réussi à faire des sujets qui se sont très bien vendus, j’ai réussi à sauver une partie pour produire des sujets. J’ai toujours géré mes revenus de manière à ne pas être pris à la gorge».
Il rappelle à quel point il est important de répondre à certaines demandes : « Il m’est arrivé de vendre un sujet pas cher parce que les gens aiment et font un effort. C’est important aussi de faire plaisir aux gens parce qu’ils s’en souviennent ».
Quelles sont les deux grandes valeurs pour se lancer dans un projet au long cours ?
« La fidélité et l’honnêteté ce sont des vertus cardinales. »
Frédéric nous rappelle qu’il est essentiel d’être fidèle à des idées, des sujets et à des gens.
C’est ainsi que se bâtit la confiance. Lorsqu’il parle du directeur du festival Visa pour L’image, on comprend bien la portée de cette confiance : « Jean François Leroy a été toujours fidèle et attentif en ayant un oeil sur mon travail. Au moment où je n’étais pas grand-chose en photographie, il a eu la générosité et l’envie et le goût de me soutenir tout au long des années ».
Ce soutien est précieux dans la vie d’un photographe. Frédéric nous avoue qu’il est extrêmement reconnaissant envers « les gens qui savent faire confiance à une vague idée qu’ils ont de quelqu’un et qui n’arrivent pas au moment où on est plus grand ».
La deuxième qualité essentielles pour entamer un projet au long cours, c’est la sincérité, avant tout envers soi-même. « Au bout du bout, le plus important est de ne pas se trahir, de ne pas trahir l’image qu’on de soi quand on était plus jeune, le rêve qu’on avait, les valeurs, la projection qu’on se faisait de soi-même. Il faut pouvoir se dire que quoi qu’il arrive, on l’a fait honnêtement ».
Le photographe insiste sur l’importance de se documenter sur son sujet, tout en se détachant de l’actualité. « Peu importe si c’est dans l’aire du temps, peu importe si ça va se vendre aujourd’hui. Parce que si ça ne se vend pas aujourd’hui, ça peut se vendre demain ».
On lui a laissé le mot de la fin.
« Rien n’est impossible en réalité, il faut trouver le courage en soi et foncer ».
Toutes les informations utiles de l’épisode
Les magazines cités dans l’épisode
Revue Long Cours
6 mois
La revue XXI
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